Un homme met calmement le feu à une maison, surveillé par un groupe d'au moins 12 hommes en tenue, vêtus des casques et des sangles noires conformes à ceux portés par une unité d'élite de l'armée camerounaise.
« Je veux mourir », dit un chef de village à ses bourreaux alors qu'ils le battent et menacent de le tuer. Ils semblent être membres d'une milice séparatiste.
Capturées et largement diffusées sur les médias sociaux, ces séquences font partie des dizaines de vidéos émanant du Cameroun au cours des six derniers mois, dont certaines ont été analysées par BBC Africa Eye.
Certaines d'entre elles montrent des villages en flammes. D'autres, des actes de torture et des meurtres. Beaucoup sont trop choquantes pour être diffusées. Bien que souvent confus et difficiles à vérifier, ces films montrent une nation qui glisse vers une guerre civile brutale alors que le gouvernement tente de réprimer une insurrection armée dans les régions anglophones du Cameroun.
Les images enregistrées fin avril de cette année montrent une unité d'au moins 13 soldats mettant le feu à une maison à Azi, un village de la région anglophone du Sud-Ouest du Cameroun. BBC Africa Eye a confirmé l'emplacement en faisant correspondre les bâtiments à l'imagerie satellitaire et en comparant les dommages causés par l'incendie montrés dans une vidéo subséquente du même village.
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Ces hommes semblent être membres des forces de sécurité du gouvernement. Leurs vêtements, leurs casques et leurs sangles sont tous conformes à ceux portés par le Bataillon d'intervention rapide du Cameroun (BIR), une unité d'élite de l'armée qui a été équipée et entraînée par les États-Unis et Israël.
Un résident local a également déclaré à la BBC que les troupes qui ont détruit des maisons à Azi appartenaient au BIR. Mais un porte-parole du gouvernement révèle que l'identité des hommes n'est pas claire.
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« Ils[les séparatistes] sont en mesure d'acquérir des uniformes militaires de la Brigade d'intervention rapide ou de toute autre brigade des forces de défense afin de perpétrer leur crime et d'en blâmer nos forces de défense et de sécurité », a déclaré le ministre camerounais de la Communication, Issa Tchiroma Bakary.
Il a déclaré à la BBC que l'incident faisait l'objet d'une enquête pour « faire la lumière sur ce qui s'est exactement passé ».
Des terres brulées
Des vidéos amateurs ont enregistré une autre attaque le 29 avril, cette fois sur Munyenge, également dans la région sud-ouest, montrant le centre du village en flammes. La BBC s'est entretenu avec trois habitants de Munyenge qui disent tous que le village a été détruit par les forces gouvernementales.
Un des témoins a déclaré que les troupes ont brûlé de nombreuses maisons, tué des civils et décapité un habitant du village. L'imagerie satellitaire d'avant et d'après cette attaque montre l'étendue de la destruction.
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Quelques jours plus tard, début mai, une vidéo diffusée sur Facebook montrait le village voisin de Kuke Mbomo après un raid qui aurait été effectué par des soldats.BBC Africa Eye a examiné la séquence image par image et a confirmé son emplacement.
La vidéo montre un homme tenant des munitions réelles et criant à la caméra : « C'est pour nous, pour les civils, pour nous tuer ! ».
Les militants anglophones affirment que près de 70 villages du Sud-Ouest ont été pris pour cible au cours de l'année écoulée - et la violence se poursuit. À l'aide d'images satellite, la BBC a identifié au moins quatre villages qui ont été gravement endommagés par le feu au cours des derniers mois.
Bien que nous ne puissions pas confirmer qui est responsable de l'incendie de ces villages, l'avocat et activiste Agbor Nkongho blâme les forces gouvernementales.
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Racines coloniales
C'est un conflit qui se développe depuis des décennies. La division entre la majorité francophone du Cameroun et sa minorité anglophone trouve ses racines dans l'ère coloniale.
Le Cameroun a été colonisé par l'Allemagne, puis divisé en zones britannique et française après la première guerre mondiale. Après l'accession du Cameroun à l'indépendance en 1960, les deux parties du pays ont formé une seule nation l'année suivante.
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Cela fait suite à un référendum, lorsque le Southern Cameroon dirigé par les Britanniques, a voté pour rejoindre la République francophone du Cameroun en 1961, tandis que le Northen Cameroon a voté pour rejoindre le Nigeria anglophone.
Même à l'époque, certains anglophones avaient l'impression d'avoir été forcés d'entrer dans la nouvelle république.
Le Cameroun est devenu une fédération de deux Etats - l'un anglophone, l'autre francophone - sous un seul président.
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Dix ans plus tard, en 1972, un autre vote public a vu le Cameroun abandonner sa forme fédérale pour devenir un État unitaire.
Depuis, de nombreux anglophones se sont plaints que leurs régions étaient négligées et exclues du pouvoir.
Interdiction des téléphones portables pour les officiers
Ces tensions naissantes ont dégénéré en violence en 2016. Au départ, il s'agissait d'une protestation des avocats et des enseignants réclamant de meilleures dispositions pour l'utilisation de l'anglais.
Mais les tensions ont augmenté, entraînant une confrontation entre les forces de sécurité, une coupure d’internet dans les régions anglophones pendant 93 jours et des militants séparatistes luttant pour l'Etat sécessionniste d’ «Ambazonia ».
Depuis lors, des atrocités ont été signalées de part et d'autre - enlèvements, exécutions extrajudiciaires et incendies de villages.
Amnesty International affirme que le Cameroun anglophone est maintenant pris dans un "cycle meurtrier de violence".
Le groupe de défense des droits allègue que la répression gouvernementale et les troubles se sont progressivement transformés en conflit armé, laissant la population générale au gré de deux forces opposées. Le gouvernement a pris des mesures pour s'attaquer au problème de la langue, qui a déclenché la crise, en créant la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme l'an dernier.
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Le ministre des Communications affirme également que des incidents de torture présumée font l'objet d'une enquête après qu'une vidéo, enregistrée en mai 2018, semble montrer des officiers de police militaire abusant d'un commandant séparatiste. Son l'analyse de la BBC ces images auraient été tournées à l'extérieur du poste de police militaire dans le village de Nkongle.
« Si un ou plusieurs soldats étaient reconnus coupables d'un tel comportement, je vous dis qu'ils seraient immédiatement jugés en cour martiale », a déclaré M. Bakary.
Les écoles incendiées par les rebelles
Il n'y a pas que le gouvernement qui est accusé d'avoir commis des abus. Les rebelles séparatistes ont également tué les forces de sécurité camerounaises et attaqué des civils accusés de travailler avec le gouvernement.
Les rebelles ont également attaqué et incendié des écoles - selon Amnesty International, au moins 42 écoles ont été attaquées par des séparatistes armés entre février 2017 et mai 2018.
Les militants anglophones ont appelé à un boycott complet de l'école l'année dernière afin d'exercer davantage de pression sur les autorités. Amnesty a des images d'un enseignant qui a été abattu pour avoir gardé son école ouverte.
Une nouvelle vidéo montre un chef de village battu, apparemment par un rebelle qui menace de le tuer. Le chef de village y est vu en train d’implorer la clémence de ses agresseurs avant de finir par dire « Je veux mourir ».
Le gouvernement affirme que 81 membres des forces de sécurité et plus de 100 civils ont été tués par des séparatistes au cours de la dernière année.
Aucun chiffre officiel n'est disponible pour les décès de civils et de séparatistes aux mains des forces de sécurité.
Le Premier ministre Philémon Yang a accusé les Camerounais vivant à l'étranger d'utiliser les réseaux sociaux pour « répandre des discours de haine et de terreur » et « ordonner des meurtres ».
Cette semaine, la gendarmerie a interdit aux officiers d'utiliser des téléphones portables ou les réseaux sociaux tels que WhatsApp, Facebook et Twitter sans autorisation.
Alors que la crise anglophone du Cameroun se poursuit, le Royaume-Uni et la France ont discrètement insisté sur le dialogue.
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L'ambassadeur des États-Unis au Cameroun, Peter Barlerin, a adopté une position plus dure. Il a récemment accusé l'armée de brûler et de piller les villages et a également suggéré qu'après 35 ans au pouvoir, le président Paul Biya pourrait vouloir envisager de démissionner.
Le Cameroun fait face à un contrôle international croissant dans son approche de la crise, avec des élections générales prévues pour octobre 2018.
Des milliers de familles ont été forcées de quitter leur foyer à cause des combats.
Alors que 21 000 personnes ont traversé la frontière pour se réfugier au Nigeria, l'ONU estime que 160 000 autres personnes sont déplacées à l'intérieur du Cameroun.
Beaucoup d'autres se cachent encore dans la forêt.